J’ai tant d’amour au cœur

Bien peu me seconde,
Elle me tient en balance
Comme nef sur l’onde.
Ces pensées m’ôtent le sens,
La nuit, me confondent ;
Je tourne et vire en tous sens,
Tant ma peine abonde.
Je languis plus d’amour
Que Tristan en son cœur
Qui souffrit maintes douleurs
Pour Izeut la blonde.
Dieu, que ne suis-je l’aronde
Qui vole dans l’air
Pénétrant la nuit profonde
Jusqu’à son repaire.
Oh ! belle dame gironde,
Votre amant se perd !
Je crains que mon cœur ne fonde
Si je désespère…
Dame, pour votre amour
Je prie avec ardeur ;
Beau corps aux fraîches couleurs,
J’ai pour vous souffert !
Au monde, il n’est nulle affaire
Qui autant m’inspire !
Pour peu qu’il en soit matière
Là mon cœur chavire
Et mon visage s’éclaire !
Que pourrais-je dire
Sans qu’à vos yeux ne s’avère
Qu’il me prend de rire ?
Si franc est mon amour
Que maintes fois j’en pleure ;
Meilleure en est la saveur
Qu’offrent les soupirs !
Messager, va et cours !
Et dis à la meilleure
La détresse et la douleur
Qui font mon martyre.
Bernart de Ventadour
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